Qu’est-ce qu’un enjeu prospectif ?
La prospective peut se concevoir comme l’exploration des futurs possibles en vue d’identifier les enjeux de demain et d’éclairer les décisions d’aujourd’hui (Chapuy, 2012). Pour Lugan (2006 : 31), du point de vue de l’acteur, un enjeu c’est ce que celui-ci peut gagner ou perdre dans le système dans lequel il déploie son action.
L’enjeu n’est pas absolu : il est relatif, d’une part, à la position et à la stratégie de l’acteur et, d’autre part, à l’évolution du système. Par exemple, l’imposition d’une redevance pour l’utilisation des autoroutes ne sera porteuse d’un enjeu que pour les utilisateurs de celles-ci et dans un contexte où leur usage présente des avantages ou s’avère nécessaire pour ceux-ci.
D’un point de vue prospectif, certaines évolutions possibles du système analysé peuvent véhiculer des opportunités ou des menaces du point de vue des acteurs. En ce sens, elles peuvent nourrir une espérance de gain ou générer un risque de perte. Elles sont, dès lors, porteuses d’enjeux pour les acteurs. Ces enjeux, qui pourraient être qualifiés de “prospectifs”, se traduiront par des problèmes cruciaux par rapport auxquels une solution n’est pas a priori identifiée mais qu’il convient de résoudre (Pacini, 2020).
L’examen de ces évolutions porteuses d’enjeux est donc d’une importance majeure en prospective. D’une part, comme l’indique Guyot (2020), les enjeux fondent des bases à partir desquelles les stratégies des acteurs peuvent se (re)composer à l’avenir et ils peuvent, dès lors, être à l’origine de points de bifurcations pour la trajectoire du système. Par exemple, l’augmentation du prix du pétrole renvoie à un enjeu en termes de mobilité et elle peut amener certains acteurs à recomposer leurs stratégies et leurs comportements en la matière, ce qui pourrait affecter la dynamique du système énergétique.
L’exploration des futurs possibles nécessite donc la bonne identification des évolutions vectrices d’enjeux et des bifurcations qui peuvent en résulter. D’autre part, sur le plan de l’aide à la décision et de la réflexion stratégique, cet examen permettra d’anticiper l’émergence des risques et des opportunités et, ce faisant, contribuer à l’élaboration d’une stratégie adéquate pour y faire face.
Pour Pacini (2020), différents types d’enjeux peuvent être identifiés. Tout d’abord, on peut distinguer les enjeux partagés, qui affectent tous les acteurs, des enjeux spécifiques, propres à tel ou tel acteur. Ensuite, suivant le degré de visibilité des enjeux et des possibilités d’action qui y sont associées, on opposera les enjeux-clés ou stratégiques aux enjeux flous ou critiques. Les premiers font déjà l’objet d’une certaine visibilité dans le chef des acteurs et il s’agit de doter ceux-ci d’une stratégie pour les gérer au mieux en fonction de la situation future souhaitée. Quant aux enjeux flous ou critiques, ils ont pour caractéristique de ne pas être bien perçus par les acteurs ou de ne pas être envisagés par ceux-ci comme pouvant faire l’objet d’une stratégie. Les enjeux de cette dernière catégorie demanderont, pour être investis et appréhendés stratégiquement par les acteurs, un changement de regard et de posture de leur part.
Le pilotage de processus conduisant à l’identification et à l’explicitation des enjeux constitue une compétence clé en prospective. Ces processus se déploient à différentes étapes de son travail. Lors de l’analyse du système concerné, l’identification des enjeux, passés et actuels, contribue à la bonne compréhension de celui-ci. Cette identification est rendue possible par le recours à des dispositifs méthodologiques spécifiques (ateliers, entretiens…). Elle peut être grandement facilitée par le repérage des controverses en vigueur entre les acteurs. Une fois l’élaboration des futurs possibles finalisée, les enjeux actuels sont examinés et discutés à la lumière des futurs possibles et souhaitables. Cet examen et cette discussion permettent l’identification de potentiels enjeux nouveaux, qui peuvent émerger dans les différents futurs possibles (enjeux prospectifs). Cette identification constitue un chaînon essentiel entre le travail anticipatif et la réflexion stratégique.
Bibliographie
Chapuy, P. (2012). La Prospective : Méthodes, démarches et intérêts. Présentation à l’Académie Lorraine des Sciences, 14 juin.
URL : http://als.univ-lorraine.fr/files/conferences/2012/Dupuy-Prospective.pdf
Guyot, J.-L. (2020). Tout au long de la vie ? La formation des adultes en Wallonie : tendances, enjeux et évolutions possibles, Cahier de prospective de l’IWEPS, n°2, Institut wallon d’évaluation, de prospective et de la statistique.
Lugan, J.-C. (2006). Lexique systémique et prospective. Conseil économique et social Midi-Pyrénées.
URL : http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0055/Temis-0055429/16434.pdf
Pacini, V. (2020). Les 3 clés et les 5 principes de l’ingénierie prospective, support de cours au Certificat en Analyse Prospective, UCL-Ulg-Cnam-Iweps, Louvain-la-Neuve, 2 octobre.